Alors que la communauté scientifique attribue l’invention de la radiothérapie à l’américain Emil Grubbe, c’est pourtant un médecin français, Victor Despeignes, qui a réalisé, en 1896, le premier traitement par rayons X. Grande figure méconnue de la radiothérapie, l’histoire de Victor Despeignes permet de comprendre les origines de ce traitement et comment il a été découvert presque « par hasard ». Nous nous sommes entretenus avec Nicolas Foray – radiobiologiste et co-directeur de l’unité 1296 INSERM “Radiations : Défense, Santé, Environnement” au Centre Léon Bérard à Lyon – à l’occasion de la sortie de son livre “Victor Despeignes ou le premier traitement du cancer par rayons X » qui lui est dédié.
Pourriez-vous nous présenter, en quelques mots, vos activités ainsi que votre parcours professionnel ?
Je suis radiobiologiste, c’est-à-dire chercheur sur l’étude des effets biologiques des radiations. Au départ, je me destinais à l’étude de l’Égypte, à savoir l’égyptologie. Et un jour, j’ai découvert que la momie de Ramsès II avait été irradiée pour être désinfectée. Je suis alors passé de l’Égypte à la radiobiologie. Je dirige aujourd’hui l’unité U1296 de l’INSERM, située à Lyon, qui s’intitule « Radiations : Défense, Santé, Environnement. » La mission principale de l’unité est de mieux comprendre les réponses individuelles aux radiations, qu’elles soient issues d’un contexte militaire, médical ou environnemental. Nos études sont essentiellement basées sur les effets biologiques des radiations ionisantes sur les cellules humaines. Par ailleurs, nous travaillons au sein de l’unité avec des psychologues sociaux qui s’intéressent à la perception des risques vis-à-vis d’événements, tels que les accidents de Tchernobyl ou de Fukushima, qui peuvent nous influencer dans nos démarches au niveau national, comme au niveau personnel. Est-ce qu’on a peur ou pas ? Est-ce qu’il faut avoir peur ou pas des radiations et des rayons X ? L’équipe est ainsi constituée de corps de métiers complètement différents : des militaires, des biologistes, des psychologues, des médecins radiothérapeutes ou radiologues. Et l’un des défis que nous rencontrons au quotidien, c’est de faire travailler tous ces experts ensemble tout en employant le même vocabulaire. Et, il y a une vraie volonté didactique de l’équipe tournée vers le grand public.
Qui est Victor Despeignes et pourquoi lui avoir consacré un livre ?
Victor Despeignes est un anti-héros que personne ne connaît et qui méritait bien d’avoir une certaine postérité.
Pourquoi lui consacrer un livre ? Il y a deux choses. D’abord, il y a l’histoire d’un anti-héros, quelqu’un qu’on ne connaît pas et qui a fait quelque chose de fondateur. Lui consacrer un livre permet de le mettre en lumière. C’est une sorte de devoir, mais aussi une analyse : comment en est-il arrivé là ? Quelles ont été ses erreurs de raisonnement ? Quelle a été la part de chance ? Et quelles ont été les parts qui était correctes dans son raisonnement ? C’est toute une démarche intellectuelle. L’intérêt d’écrire un livre repose ainsi sur l’individu lui-même, mais aussi sur la période. Ce qu’il faut comprendre, c’est que quasiment le même jour, on a fait la découverte des rayons X, on vivait dans l’explosion des idées de Pasteur en lien avec les microbes et on a inventé le cinéma. Ce triptyque « Rayons X – Pasteur & Microbes – Cinéma » va jouer un rôle considérable sur l’histoire de la radiothérapie.
Il est à noter que Victor Despeignes n’a fait qu’une seule tentative de radiothérapie contre un cancer. Il s’est destiné par la suite à l’hygiénisme. Il est à l’origine des premiers carnets de santé et des premières désinfections de livrets scolaires pendant les vacances scolaires. Il a adopté toute une démarche qui, aujourd’hui, constitue la base de notre santé publique. Victor Despeignes peut ainsi être qualifié d’hygiéniste, du fait qu’il était persuadé que les microbes jouaient un rôle délétère dans notre vie, dans notre santé et dans notre quotidien, et il va n’avoir de cesse de les traquer.
Qu’est-ce qu’un rayon X ?
Pour comprendre ce que c’est qu’un rayon X, il faut d’abord avoir une image un peu planétaire de l’atome. Les atomes, de tous les éléments physiques qui nous constituent, sont faits d’un noyau, avec des particules positives, autour duquel gravitent des électrons. Si ces électrons sont bien ordonnés, on les qualifie de nuage électronique. Si on en déplace un seul, on va avoir un dégagement d’énergie qui s’appelle le rayon X. Ainsi, le rayon X n’est autre qu’une perturbation d’un ordre immuable, celui des atomes.
Est-ce Victor Despeignes qui a découvert les rayons X ?
Les médecins lyonnais sont les pionniers des applications médicales des rayons X, comme la radiologie, et, avec Victor Despeignes, de la radiothérapie.
Comment Victor Despeignes a-t-il découvert que les rayons X pouvaient soigner le cancer ?
À la fin du 19e siècle, tout le monde croyait que toutes les maladies étaient liées aux microbes. Pasteur était mort depuis trois mois et la communauté scientifique ne jurait que par la théorie microbienne des maladies. Il y avait, à l’époque, une maladie qui occupait une place essentielle, la tuberculose, et qui posait un véritable problème de santé publique. Aussi, certains radiobiologistes, du moins les premiers, ont tenté d’irradier des pattes de souris qui étaient infectées par des extraits tuberculiniques et ont trouvé que le bacille de la tuberculose étaient tués par les rayons X. C’est ce qui a amené Victor Despeignes à penser que si cela était vrai pour la tuberculose, cela pouvait aussi l’être pour le cancer. En conséquence, il a irradié la première tumeur, en croyant que cette tumeur était liée aux microbes et qu’en l’irradiant, il allait tuer les microbes qui étaient à l’origine du cancer.
Quel cancer a-t-il tenté de soigner pour la première fois ?
Eugène-Constant Colliat, le premier patient soigné par rayons X, était un ancien confiseur qui a fait fortune et a acheté une usine de fabrication de soie synthétique, nommée viscose. Or, l’industrie de la viscose a pour point commun, avec celle de la pâte à papier, l’utilisation d’acides et de bases, responsables de lymphomes. Or, il y a beaucoup de lymphomes qui peuvent être d’origine professionnelle. Donc, il n’est pas impossible que cette première tumeur traitée par rayons X de l’histoire soit aussi celle d’un des premiers cancers professionnels.
Peut-on considérer Victor Despeignes comme l’inventeur de la radiothérapie ?
Le concept de radiothérapie consiste à tuer la tumeur en faisant diminuer son volume. En ce sens, oui, on peut considérer que Victor Despeignes est l’inventeur de la radiothérapie. Mais, nous faisons face à une polémique qui nous vient de nos amis américains qui soutiennent qu’un certain Emil Grubbe aurait, un mois voire deux mois avant la tentative de Victor Despeignes, irradié un cancer du sein avec des rayons X. Le problème, c’est qu’on sait qu’à l’époque, Emil Grubbe n’était pas médecin, donc qu’il n’avait pas le droit de traiter des patients. Par ailleurs, Emil Grubbe a annoncé cette tentative 30 ans plus tard sur la base de preuves éloignées de la réalité pratique. Aussi, la découverte par Emil Grubbe est-elle probablement un gros mensonge. Et la découverte par Victor Despeignes a-t-elle été probablement cachée par doute.
Depuis les découvertes de Victor Despeignes, les traitements par radiothérapie ont fait beaucoup de progrès. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Faut-il craindre la radiothérapie ?
Mon message est toujours le même : le bénéfice par rapport au risque. Le bénéfice réside dans le fait de traiter les tumeurs, de survivre et prolonger la vie dans un confort qui empêche toute morbidité. Le risque, il existe. Il peut y avoir des réactions secondaires, comme il peut ne pas y en avoir. Aujourd’hui, la radiobiologie permet de mieux comprendre, de mieux anticiper, de mieux prévenir et de mieux prédire ces réactions secondaires, qui sont généralement exceptionnelles par rapport au nombre de cas traités.
Pour en savoir plus :
- Nicolas Foray – radiobiologiste et co-directeur de l’unité 1296 INSERM “Radiations : Défense, Santé, Environnement” au Centre Léon Bérard à Lyon
- “Victor Despeignes ou le premier traitement du cancer par rayons X« , disponible aux éditions Glyphe.
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