L’intérêt et la nécessité de recourir à des patients-experts dans la prise en charge des cancers sont désormais admis par le milieu médical et les autorités de santé. Dans ce cadre, le patient-expert peut avoir un champ très large d’expertises : il peut agir en tant que pair, formateur ou encore ressource, et jouer un rôle à tous les niveaux, de la recherche à la prise en charge médicale et sociale, sans oublier l’accompagnement des malades dans leur parcours de santé et leur trajectoire de vie. Comment devient-on patient-expert ? Pour quelles raisons est-on amené à le devenir ? Nous nous sommes entretenus avec Mme Catherine Cerisey – ancienne patiente, enseignante de la perspective patient à l’université Sorbonne Paris Nord et directrice de l’expérience patients de la startup EntendsMoi. – et avons recueilli son point de vue sur le sujet.
Qu’est-ce qui vous a amené à exercer l’activité de patiente-experte ?
Cela a été un long cheminement.
Je ne me considère pas comme une patiente-experte, justement parce que je ne me reconnais pas dans ce mot-là et que les mots sont extrêmement importants. Je suis une patiente engagée et tout ce que je fais correspond à mon engagement, que ce soit ma partie bénévole ou ma partie professionnelle. Je suis une patiente militante et probablement un de mes premiers gestes militants a été d’ouvrir mon blog à mon nom – le blog de Catherine Cerisey – à une époque où le cancer était un sujet extrêmement tabou. Et on me parlait, et on parle encore malheureusement, de longue et douloureuse maladie. Et moi, je voulais qu’on parle de cela. Ce qui m’a amenée où j’en suis aujourd’hui, c’est justement ce militantisme, les trous dans la raquette que j’ai rencontrés pendant mon propre parcours, la conscience que tout le monde n’avait pas eu la chance que j’ai eue de trouver le bon médecin, le bon centre qui finalement m’a sauvé la vie, avec lequel j’avais des rapports d’égal à égal, de véritable partenariat, qui m’expliquait les choses, qui me proposait plutôt que de m’imposer. Je me suis dit que tous les patients n’avaient pas cette chance. D’autre part, on parle beaucoup de parcours de soins alors que le cancer est un parcours de vie et donc que tout ce qui tournait autour de notre vie, c’est-à-dire les aidants – les grands oubliés – l’aspect professionnel, les enfants, l’aspect social – on change de niveau de vie quand on a un cancer – tout cela me semblait être des choses importantes. Et puis, cela a été un long cheminement. J’ai beaucoup appris, notamment auprès des associations dans lesquelles je me suis impliquée, et j’ai beaucoup travaillé aussi : la démocratie en santé, la maladie en elle-même, les parcours de soins, comment le système de santé fonctionne en France, voire à l’étranger.
Quelles différences y a-t-il entre un patient-expert, un patient-partenaire et un patient-ressource ?
Ce qui me semble important, c’est le mot avec lequel le patient se sent à l’aise.
Comment devient-on patient-expert ?
La chose la plus importante, c’est de se laisser du temps, pour digérer ce qui s’est passé puis pouvoir aider les autres.
Il faut noter que tous les patients n’ont pas envie de devenir patient-expert. Ce n’est pas un passage obligé. On peut très bien avoir envie de retourner à la vraie vie, à la vie qu’on avait avant ou changer complètement de vie, et ne pas rester dans le système de santé. C’est tout à fait respectable.
Et il y a des patients qui ont envie de rendre un peu ce qu’on leur a donné d’une manière micro, méso ou macro. C’est un long cheminement. Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’on ne s’autoproclame pas patient-expert quand on est très proche de la maladie. Il faut acquérir ce qu’on arrive à obtenir avec le temps. Souvent, je vois des patientes atteintes d’un cancer du sein qui ont tout de suite envie d’aider dès qu’on les déclare en rémission. C’est extrêmement respectable. Mais c’est dangereux si elles interviennent auprès de leurs pairs : c’est dangereux pour leurs pairs parce qu’il peut y avoir un système de projection. Je me projette, tu te projettes et on le sait, toutes les pathologies ne sont pas les mêmes, il y a plusieurs types de cancer du sein, il a plusieurs parcours, et chaque parcours est individuel. Et c’est un danger aussi pour soi, parce qu’il peut malheureusement y avoir des rechutes. Et là, que se passe-t-il quand la patiente qui aide rechute ? Donc, la chose la plus importante, c’est de se laisser du temps, pour digérer ce qui s’est passé et pouvoir alors aider les autres.
Par ailleurs, on n’est pas expert en tout. Il faut savoir en quoi on a envie d’aider. Est-ce qu’on a envie d’aider les pairs, tels que ces patientes à qui je répondais dans mon blog. Est-ce que je veux aider dans une association et devenir par exemple patient-expert en éducation thérapeutique ? Ou est-ce que je veux plutôt aider au niveau du système de santé, des établissements de soins ou de l’État pour changer les choses ? Est-ce que je veux être enseignante ? Est-ce que j’ai envie de me former ?
Parce que la formation est un sujet important. Personnellement, je ne pense pas qu’elle soit nécessaire pour tout et je pense que c’est un problème si on demande à tous les patients-experts de se former parce que, pour l’instant, il y a des diplômes universitaires (DU). Mais pour arriver à l’université, il faut déjà avoir un bagage que tous n’ont pas. Donc, on va se couper d’une partie de la population de patients-experts qui seraient extrêmement performants, intéressants et experts. Et puis, par qui former ? Est-ce qu’on va former avec un diplôme d’État ? Est-ce que ce sont les associations qui vont former les patients comme parfois c’est le cas. Est-ce que ce sont les professionnels de santé ? Il y a plein de sujets. Donc là encore, comme le nom, on en est aux balbutiements.
Et puis, il y a un autre problème. Il y a déjà des représentants des usagers formés par leurs associations agréées. Ces représentants des usagers défendent déjà les droits dans les établissements de santé. Aussi, il faut réussir à articuler ce partenariat avec des patients-partenaires et cette défense des droits avec les représentants des usagers. On y réfléchit avec les associations pour trouver quelque chose où tout le monde y trouve son compte et pour réussir à faire avancer le système de santé et améliorer la qualité et la sécurité des soins, tous ensemble.
Où trouve-t-on les patients-experts ?
C’est la grande question : où les trouve-t-on ? J’entends des professionnels de santé qui me disent : « Moi, dans ma patientèle, je n’en connais pas ». Et puis d’autres qui voient bien qu’ils ont des patients qui ont commencé à apprendre des choses, qui ont la volonté. Donc on les trouve auprès des professionnels de santé ! Et aussi auprès du milieu associatif. On a un tissu associatif en France qui est exceptionnel notamment en cancérologie, donc, pourquoi ne pas aller les chercher dans le milieu associatif ? Et puis, il y a Internet. Il y a beaucoup de e-patients très présents sur les réseaux sociaux, notamment sur le réseau social professionnel LinkedIn. J’y vois énormément de patients en recherche et qui se disent patients-partenaires ou patients-experts.
Ce qui me semble important, c’est lorsque l’on trouve un patient-expert et qu’on décide de l’embaucher, il faut préparer une fiche de poste pour que ses missions soient très claires, comme dans n’importe quel métier. Il faut qu’il y ait des entretiens, voire un entretien avec une psychologue pour voir si le patient est capable de prendre du recul, qu’il est bien passé de l’individuel au collectif et qu’il sait pertinemment que son parcours n’est pas « les parcours » et qu’il peut, et c’est justement l’intérêt de passer dans le milieu associatif, être le relais des autres patients. Lorsque l’on est patient-expert, on ne parle pas en son nom, on parle au nom des patients et ça, c’est un travail. Il faut avoir, je pense, soit une activité bénévole dans une association, soit un parcours Internet avec une présence sur les réseaux sociaux, avec des échanges de commentaires avec d’autres patients pour avoir ce lien avec le terrain qui, si on le perd, fera que nous serons des professionnels et plus des patients. Et je pense que c’est un problème. Il faut garder le lien avec le terrain. C’est extrêmement important et c’est pour ça que j’ai une activité associative très importante et une activité sur Internet, pour justement ne jamais perdre ce lien.
Un patient-expert est-il rémunéré ?
Pour moi, ce n’est pas une question ! Tout travail mérite salaire.
Le bénévolat, c’est tout à fait autre chose.
On me dit souvent que les patients-experts se servent de leur maladie pour gagner de l’argent. Eh bien, moi, je réponds que, s’il n’y avait pas de maladies, les professionnels de santé ne gagneraient pas d’argent non plus, les directions hospitalières ne gagneraient pas d’argent, il n’y aurait pas d’hôpitaux, il n’y aurait pas de cliniques, il n’y aurait pas de professionnels de santé, il n’y aurait pas d’infirmières. Il n’y aurait rien du tout. Donc, le patient-expert doit être considéré comme un professionnel. Maintenant, tous ne désirent pas être payés. Car tous ne peuvent pas l’être parce que, lorsque vous êtes en arrêt maladie, vous ne pouvez pas être payé. Cela mérite une réflexion au niveau des pouvoirs publics afin de permettre de ne pas perdre ses indemnités si on travaille une journée par mois dans l’enseignement par exemple. C’est un problème. Dans ce cas, je pense que l’on doit pouvoir avoir a minima des indemnités de déplacement.
J’entends que les patients ont besoin d’avoir cette reconnaissance parce que le salaire, c’est une reconnaissance de l’expertise, et on le conçoit pour tous les autres métiers. Mais pas pour le patient. C’est assez étonnant. Je pense que ça va évoluer sous la pression des patients, comme souvent, encore faut-il que l’on s’accorde à articuler représentants des usagers, patients-partenaires, bénévoles, bénévoles salariés, etc. On ne fait pas les mêmes métiers, on n’a pas les mêmes disponibilités. Nous avons peut-être tous une expertise expérientielle, mais nous n’avons pas les mêmes rôles.
Pour en savoir plus : Catherine Cerisey, ancienne patiente, ex-blogueuse, co-fondatrice de Patients & Web, enseignante de la perspective patient à l’université Sorbonne Paris Nord et directrice de l’expérience patients de la startup EntendsMoi.
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