La prise en charge des patients atteints de cancer fait intervenir de nombreuses expertises. Depuis quelques années, celle-ci peut être améliorée par l’expertise de certains malades, devenus de véritables patients-experts au service de la collectivité. S’ils ne remplacent en aucun cas le soignant, ils peuvent épauler les autres malades grâce aux connaissances acquises sur leur pathologie au fil du temps. Où trouve-t-on ces patients-experts ? Pourquoi avoir recours à un patient-expert lorsque l’on est atteint d’un cancer ? Nous nous sommes entretenus avec Mme Catherine Cerisey – ancienne patiente, enseignante de la perspective patient à l’université Sorbonne Paris Nord et directrice de l’expérience patients de la startup EntendsMoi. – et avons recueilli son point de vue sur le sujet.
Pourriez-vous nous présenter, en quelques mots, vos activités ainsi que votre parcours ?
J’ai été malade, il y a 23 ans, d’un cancer du sein, duquel j’ai rechuté deux ans plus tard. En 2009, soit neuf ans plus tard, j’ai ouvert un des premiers blogs d’informations sur la maladie. Puis j’ai intégré le milieu associatif. Aujourd’hui, je suis administratrice de deux associations qui œuvrent dans le champ du cancer et d’une autre association qui œuvre dans le champ des maladies chroniques. En 2012, j’ai créé une agence de conseil en santé qui accompagne tous les acteurs du système de santé pour coconstruire avec les patients des outils adaptés aux besoins et aux usages des patients. En 2016, je suis rentrée dans un programme d’enseignement dédié aux internes en médecine générale à Paris-Sorbonne Nord. Et puis, depuis fin 2021, j’ai cofondé une start-up qui analyse l’expérience des patients pour améliorer la qualité et la sécurité des soins.
Qu’est-ce qu’un patient-expert ?
Un patient-partenaire, ou un patient-expert, est un patient avant toute chose qui a pris du recul par rapport à sa maladie.
Que peut apporter un patient-expert aux personnes atteintes d’un cancer ?
Qu’est-ce qu’un patient peut apporter à un autre patient ? Lorsque vous êtes une jeune maman, vous vous tournez vers les autres jeunes mamans qui vont vous apporter leur expérience : comment s’est passé l’accouchement ? Qu’ont-elles pris pour aller à la maternité ? Comment ça s’est passé ? Comment elles allaitent ou pas ? Comment s’est passée l’épisiotomie ? C’est exactement la même chose pour les patients. À partir du moment où on a un parcours de vie qui est abîmé et qui est brutalement arrêté par un cancer, on rentre dans un monde complètement inconnu, avec des examens à l’hôpital, avec des odeurs, avec des traitements qui s’enchaînent, avec des choix à faire. C’est important de savoir ce qu’un autre patient a fait, même si chaque parcours est différent. Ainsi, un patient-partenaire, qui a pris du recul, qui a la vision des différents parcours – parcours hospitalier, parcours en ambulatoire, parcours d’un cancer primaire, parcours d’un cancer métastatique – et qui a une conscience de tout ce qui se passe vraiment, peut apporter énormément aux autres patients.
À mon époque, il y a 23 ans, il n’y avait ni Internet, ni forum. On ne voyait les autres patients que dans les salles de chimiothérapie. J’avais l’impression que j’étais très jeune. J’avais 37 ans et c’était extrêmement difficile parce que je n’arrivais pas à me projeter, parce que ces patientes étaient plus âgées, elles n’avaient pas d’enfants petits. J’avais des problématiques qui étaient complètement différentes. Aujourd’hui, il y a des forums sur Internet où sont présents des patients plus expérimentés dans une pathologie ou une particularité « jeunes / moins jeunes », « rechutes / pas rechutes », « cancers hormonodépendants ou HER2 » « mastectomie ou pas ». Cela permet de se projeter avec des patients qui sont plus avancés dans leur parcours.
Que peut apporter un patient-expert aux proches des personnes atteintes d’un cancer ?
Il y a des spécificités au parcours d’aidant que le patient, tout expert qu’il est, ne peut pas appréhender.
C’est une question très importante, parce que les proches sont les grands oubliés du système. Pour moi, ce ne sont pas les patients-experts qui peuvent aider les proches. Ce sont les proches-experts qui peuvent les épauler parce que seuls eux savent ce qu’ils ont vécu. Car très souvent, il y a une dichotomie entre ce que le patient vit et ce que le proche vit, entre ce que je crois qu’il pense et ce que je crois qu’il vit. C’est pourquoi je pense que c’est vraiment un proche qui peut apporter son aide. Et d’ailleurs, il existe des associations d’aidants non spécialisées dans le cancer. Pourquoi ne pas aller voir ces associations d’aidants ? Parce qu’il y a des spécificités au parcours d’aidant que le patient, tout expert qu’il est, ne peut pas appréhender.
Que peut apporter un patient-expert aux professionnels de santé ?
Ce qu’apporte un patient-expert, partenaire ou ressources aux professionnels de santé, dépend de l’endroit où il se trouve. Est-ce que je suis patient-partenaire au niveau individuel ou au niveau collectif ? Dans le premier cas, je vais apporter à mon professionnel de santé ma vision du traitement. On est dans un processus de décision partagée. Le professionnel de santé va apporter son expérience et son expertise scientifique. Le patient va apporter, lui, son expérience, voire son expertise : il s’est peut-être formé, il est allé effectuer des recherches sur Internet, il a discuté avec d’autres patients, il a aussi ses valeurs, ses préférences, ses croyances. Ils vont négocier ensemble et finalement arriver à un consensus qui permet au patient d’être à l’aise avec ce choix. Je fais souvent le parallèle avec les divorces. Quand vous divorcez à l’amiable, vous acceptez beaucoup mieux la décision du juge. Ici, c’est pareil : je vais mieux adhérer à mes soins, je vais être plus à l’aise. Par ailleurs, un patient-expert au niveau individuel, va peut-être poser des questions plus pointues. Il va comprendre l’information. Donc, il va faire gagner beaucoup de temps aux professionnels de santé.
En revanche, au niveau collectif, le patient-expert peut avoir plusieurs rôles : il peut être ce qu’on appelle un pair-aidant et accompagner d’autres patients, il peut contribuer à la recherche, travailler dans un centre de soins et faire vraiment partie de l’équipe pour améliorer les parcours. Enfin, depuis quelques années, les patients-experts rentrent dans les facultés de médecine et ainsi forment les futurs médecins pour améliorer les prises en soin. Dans ce cas, la seule contrainte est que le patient-expert qui intervient au niveau collectif ait pris du recul par rapport à sa propre histoire.
Je dis toujours :
« Un patient bien informé est un patient mieux soigné. »
Les professionnels de santé aguerris sont-ils ouverts à l’intervention des patients-experts ?
Contrairement à ce que l’on pense, ce ne sont pas les professionnels les plus âgés qui sont les plus fermés à l’arrivée des patients-experts. Pourquoi ? Parce que lorsque vous êtes internes en médecine, vous avez ce sentiment d’avoir tellement travaillé. Pour vous, le patient, ce n’est pas encore un sujet, cela reste un objet qu’on vous a enseigné. Un professionnel de santé plus aguerri a vu des tas de patients. Il a compris qu’il y avait des patients différents, des patients qui allaient lui demander : « Mais que vous feriez à ma place, docteur ? », des patients plus aguerris, qui posent plus de questions, qui comprennent plus vite, etc. Donc, il a conscience que le patient-expert est un patient qui peut aider le professionnel de santé. Cela étant, ce que je vois souvent, c’est que les professionnels de santé plus aguerris vont nous dire : « Oui, iI y a beaucoup de patients différents mais moi, mes patients ne peuvent pas être experts, c’est compliqué. » Et moi, je dis toujours : « Au lieu de tirer vers le bas les patients qui ont très envie de devenir expert sous prétexte qu’il y a des gens qui ne sont pas capables ou qui n’ont pas envie, il faut tirer les gens plutôt vers le haut et justement, aider les patients, qui n’auraient pas la capacité de le faire, à devenir de plus en plus informés, à se prendre en main et devenir acteur de leur prise en charge. » Donc, c’est cela que l’on peut apporter aux professionnels de santé plus aguerris. Et puis, la médecine évolue très vite tout comme le patient a évolué ces 20 dernières années. Les professionnels de santé ont besoin de voir comment les patients ont évolué. Au même titre que la lutte contre le cancer a fait des progrès énormes ces 20 dernières années, le patient, avec l’arrivée d’Internet et la démocratisation de la connaissance, a fait des pas de géant. Aussi, la connaissance n’est plus l’apanage des professionnels de santé. Maintenant, on a accès à la connaissance comme tout le monde. On peut aller sur PubMed, on peut lire des résultats scientifiques. Libre à chacun d’essayer d’apprendre et de comprendre ce qu’il lit. Je pense qu’Internet a beaucoup contribué. Pourtant, très souvent, les professionnels de santé plus aguerris souhaitent que leurs patients n’aillent pas voir sur Internet, sous prétexte que l’on y trouve tout et n’importe quoi, surtout depuis l’arrivée des fake news. Je réponds à ces professionnels : « Votre rôle, c’est de leur apprendre à aller sur les bons sites, en mettant par exemple à disposition dans votre salle d’attente un document listant les sites fiables, les sites sur lesquels les patients peuvent aller. Vous avez un rôle primordial à jouer. » Il y a des pays où la première chose que demande un professionnel de santé est : « Qu’est-ce que vous avez vu sur Internet ? Qu’est-ce que vous avez compris ? » Parce que, contrairement à ce que les professionnels de santé pensent, c’est un gain de temps, puisque le patient a « dépatouillé » et a compris des choses. Et puis maintenant, les millenials d’aujourd’hui apprennent à lutter contre les fake news. Ils seront les boomers de demain. Ainsi l’écart va s’amenuiser avec le temps et on fera en sorte qu’Internet fasse partie de l’équation. Ce ne sera plus un duo, mais un trio : « professionnels de santé, patients et Internet ».
Au niveau collectif, c’est encore plus compliqué, le patient est la ressource la moins « exploitée » de notre système de santé. Pourtant, dans un système qui souffre, les patients-experts peuvent largement aider à améliorer les soins.
Quand intervient le patient-expert dans le parcours de soin du patient ?
Je pense que le patient-expert devrait intervenir à tous les moments du parcours, parce que le parcours, ce n’est pas quelque chose de linéaire, bien qu’on le représente souvent sur une ligne horizontale. Un parcours, ça commence par une annonce. On a un dispositif d’annonce dans le cancer, ce qui est très bien. Malheureusement, ce dispositif d’annonce est un dispositif hospitalier. Alors, quand on vous dit en ville, après une mammographie, qu’il faudrait que vous alliez à Gustave-Roussy, il ne faut pas avoir un bac +12 pour comprendre que vous avez de très grands risques d’avoir un cancer.
Le dispositif d’annonce a été demandé par les patients lors des États généraux de la Ligue contre le cancer en 1998. Celui-ci est en place depuis 2004 et est très codifié : vous avez un temps médical, un temps infirmier, puis un 3ème temps de présentation des soins de support et des associations, et enfin un 4ème temps de coordination ville-hôpital. Je pense que, dans ce parcours, on pourrait faire intervenir un patient-expert parce que lorsque vous avez une annonce : vous vous prenez un mur à 300 km/heure. Et voir quelqu’un qui a 5 ans, 10 ans, voire 15 ans de recul par rapport à la maladie, non seulement il va vous reformuler des termes peut-être un petit peu compliqués – ce qui peut décharger l’infirmière de coordination dont c’est le rôle -, mais en plus, il vous permet de vous projeter, de vous donner de l’espoir. Il a 5 ans, 10 ans de recul. Moi, je peux être ce patient dans 5 ou 10 ans. Et justement, amoindrir ce choc de l’annonce.
Le patient-expert peut intervenir vraiment à tout moment du parcours.
Avoir recours à un patient-expert a-t-il un coût ?
Est-ce que le patient expert ou partenaire va coûter de l’argent au patient ? Je suis parfaitement contre ! Je pense que cet apport d’expérience d’un patient ne doit pas générer un coût pour les patients, tout comme un soin de support ne doit pas générer un coût. Il n’y a aucune raison qu’il y ait un coût particulier. Dans le cas contraire, cela créerait des inégalités d’accès à cette expérience et à cette expertise, ce qui est inacceptable. Il y a eu des volontés de « vente » de prestations de patients au même titre que les prestations d’ostéopathe ou de psychologue. Je suis tout à fait contre. Comment sait-on que ces gens ont de l’expertise ? Comment sait-on pourquoi on va payer 10 euros de l’heure pour l’un et 30 euros de l’heure pour l’autre ? Qui les sélectionne ? Il y a donc plein de questions qui émergent et d’ailleurs, un de ces sites a fait machine arrière parce qu’il s’est bien rendu compte que cela faisait un tollé. Donc non, ça ne doit rien coûter. Ça doit être pris en charge soit par l’hôpital ou le centre de soins, voire par l’État, par l’université, mais en aucun cas par le patient.
Pour en savoir plus : Catherine Cerisey, ancienne patiente, ex-blogueuse, co-fondatrice de Patients & Web, enseignante de la perspective patient à l’université Sorbonne Paris Nord et directrice de l’expérience patients de la startup EntendsMoi.
Cet article vous a intéressé ? Nous vous invitons à lire également l’article « Comment et pourquoi devenir patient-expert lorsque l’on a eu un cancer ? » : https://mesmomentsprecieux.fr/vivre-avec/comment-et-pourquoi-devenir-patient-expert-lorsque-lon-a-eu-un-cancer/