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Comprendre le cancer colorectal

Alors que le nombre de nouveaux cas de cancer colorectal en 2023 était de plus de 26 000 chez l’homme et de plus de 21 000 chez la femme,1 cette maladie reste encore trop souvent un sujet tabou. En conséquence, ce cancer est moins bien dépisté que d’autres cancers alors que le test de dépistage est gratuit, et facile à obtenir et à réaliser.2 Pourquoi de tels freins ? Qu’est-ce que le cancer colorectal ? Comment se soigne-t-il ? Quels peuvent être les impacts des traitements sur la vie des patients ? Peut-on reprendre le cours de sa vie après ? Autant de questions que nous avons soulevées lors de notre entretien avec M. Cyril Sarrauste – Ancien patient, patient partenaire, co-responsable de « Mon Réseau Cancer Colorectal » et membre du bureau de DiCE (Digestive Cancers Europe) – pour vous donner un éclairage sur le sujet.

Pourriez-vous nous présenter, en quelques mots, vos activités ainsi que votre parcours ?

Je suis ingénieur de recherche au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique). Je travaille en tant que chargé de valorisation scientifique et de médiation scientifique. J’ai été diagnostiqué d’un cancer colorectal à l’âge de 50 ans, quasiment à la date de mon anniversaire. En conséquence, je n’ai pas participé au dépistage organisé contre le cancer colorectal. Aujourd’hui, je suis guéri, c’est-à-dire qu’il n’y a plus aucune trace de cellules cancéreuses dans mon corps. Je suis pour ainsi dire redevenu quelqu’un qui n’aurait pas eu de cancer, bien que je sois toujours suivi de manière régulière, et que je vive encore avec les effets secondaires dus aux traitements.

Qu’est-ce que le cancer colorectal ? Pourquoi fait-il partie des maladies dites « tabou » ?

Parler du cancer colorectal est une erreur. Il faut parler des cancers colorectaux.

Il n’existe non pas un cancer colorectal mais différents cancers colorectaux selon leur localisation au niveau du gros intestin : dans le côlon ascendant, transverse, descendant, sigmoïde ou dans le rectum. Cela n’inclut pas les cancers du canal anal. En fonction de la localisation du cancer colorectal, les traitements différent, de même que les symptômes ainsi que la qualité de vie post-traitement.

Il est important de signaler que les cancers colorectaux représentent le 2ème cancer le plus fréquent au monde. C’est le 3ème cancer le plus fréquent chez l’homme après le cancer de la prostate et le cancer du poumon, et le 2ème cancer le plus fréquent chez la femme après le cancer du sein.1

Alors qu’on en parle beaucoup plus facilement dans les pays anglosaxons, les cancers colorectaux font partie en France des maladies « tabou », car ceux-ci se situent « en-dessous de la ceinture ». Aussi même si une personne a des symptômes, elle ne va pas forcément en parler à son médecin généraliste. Or, on se rend compte aujourd’hui qu’il y a de plus en plus de jeunes qui ont des cancers colorectaux. En tant que membre de DiCE (Digestive Cancers Europe), j’ai contribué à mettre à disposition un livre intitulé « Tu es jeune, mais ça pourrait être un cancer. » (version française bientôt disponible). Il recueille les témoignages de jeunes gens, âgés de moins de 30 ans pour certains, qui ont eu des cancers colorectaux.

La campagne de dépistage organisé en France est dédiée aux personnes âgées de 50 à 74 ans.2 Aussi, quelqu’un de moins de 50 ans qui va ressentir des symptômes qui feraient penser à un cancer colorectal, on ne va pas l’écouter. On va lui dire « mais tu es trop jeune pour avoir un cancer colorectal » et on ne va même pas investiguer. Mais plus on attend, plus les traitements vont être lourds et la qualité de vie amoindrie. Or, en France, les cancers colorectaux se soignent très bien. Dans 9 cas sur 10, on peut en guérir s’ils sont pris en charge précocement,2 avec des traitements plus légers et une qualité de vie préservée.

Quels sont les symptômes du cancer colorectal ?

Il faut écouter son corps et ne pas hésiter à consulter en cas de symptômes !

Les symptômes du cancer colorectal sont assez difficiles à percevoir parce que tout le monde peut les ressentir. Cela comprend des douleurs abdominales et des saignements rectaux. Moi, c’est ce qui m’a alerté. J’ai eu des saignements pendant plus d’une semaine et là je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Je suis allé voir mon médecin généraliste et j’ai insisté pour avoir une coloscopie. Enfin, outre la fatigue, l’autre signe, qui est aussi important, est une variation du transit. On peut très bien passer de la constipation à la diarrhée très rapidement dans la même semaine sans raison apparente.

Les cancers colorectaux occasionnent malheureusement en France un décès toutes les 30 minutes. C’est pourquoi il ne faut négliger ces signes et symptômes. Il faut écouter son corps, écouter tous ces symptômes et ne pas hésiter à consulter le cas échéant. Et si on est plus jeune que l’âge préconisé dans le cadre du dépistage organisé, ne pas hésiter à insister auprès de son médecin !

De quels traitements avez-vous bénéficié pour soigner votre cancer colorectal ?

J’ai eu pour ma part un cancer du rectum de grade 3 sur 4. Il m’a été administré au départ une radio-chimiothérapie, qui comprenait des séances classiques de radiothérapie sur plusieurs semaines, tous les jours, sauf le week-end et une chimiothérapie orale. Trois mois plus tard, j’ai eu une proctectomie (ablation d’une partie du rectum), ainsi qu’une iléostomie, c’est-à-dire un abouchement des voies digestives sur le ventre avec une poche pour récupérer les selles. Celle-ci avait pour objectif de protéger l’anastomose (communication chirurgicale entre deux organes) et favoriser la cicatrisation. Cette stomie, qui devait être provisoire, a duré en fait plus de 6 mois, contre les 3 mois annoncés initialement. Deux mois après la chirurgie, j’ai à nouveau eu une chimiothérapie, mais cette fois-ci injectée pour être sûr qu’il n’y ait pas de cellules cancéreuses qui puissent rester dans le corps. Enfin, au bout de 7 mois, j’ai eu ce qu’on appelle une « remise en continuité » des deux morceaux d’intestin et la suppression de la stomie.

Aujourd’hui, je suis guéri. Cependant, je ressens encore, 5 ans après, certains effets secondaires liés aux traitements. En cours de chimiothérapie, on peut en effet ressentir de la fatigue, avoir une perte de poids, voire une chute de cheveux qui n’est pas systématique, celle-ci dépendant du type de traitement reçu. Peuvent aussi apparaître des problèmes de transit et avec certaines molécules, des problèmes de neuropathies périphériques, c’est-à-dire des fourmillements et des sensations ou des non-sensations au niveau des membres, des pieds et des mains, qui s’atténuent pendant le traitement mais qui peuvent perdurer. Personnellement, aujourd’hui, j’ai toujours ces problèmes de neuropathies périphériques au niveau des jambes, ce qui m’empêche de courir puisque je ne sens plus mon pied.

La radiothérapie dans la zone pelvienne, ainsi que la chirurgie, peuvent avoir de leur côté des effets secondaires importants sur la sexualité. Typiquement, pour les femmes, ce sera de la dyspareunie, des sécheresses vaginales et chez les hommes on va avoir des troubles de l’érection et des troubles de l’éjaculation. On en parle très peu. Or, il est indispensable d’aborder le sujet notamment avec les patients jeunes et de se poser la question de la préservation de gamètes, étant donné le risque d’infertilité.

Enfin, la remise en continuité a été pour moi un moment assez compliqué, étant donné qu’au cours des premières semaines, je devais aller 30 fois à la selle par jour. Le retour du transit est très compliqué à gérer et peut perdurer pendant plusieurs mois, voire plusieurs années.

Quel a été l’impact des traitements, tant sur votre vie professionnelle que personnelle ?

Comment votre entourage a-t-il vécu le diagnostic, puis les traitements ?

C’est un choc psychologique pour toutes les personnes qui vous entourent et qui vous aiment !

Le diagnostic, c’est l’effondrement dans la famille proche, pour ma compagne et mes parents. C’est aussi la culpabilité. Typiquement, les parents peuvent se sentir coupables. Il ne faut pas que ni la famille, ni le patient ne se sentent coupables ! C’est pour ça aussi que je milite ! Ce n’est pas parce que vous avez un cancer colorectal, que vous êtes coupable d’avoir mangé trop de viande rouge ! Ne pas fumer, c’est mieux ! Ne pas boire, c’est mieux ! Manger raisonnablement, c’est mieux ! Éviter la sédentarité et faire de l’activité physique, c’est mieux ! Mais ce n’est pas pour ça que si vous ne le faites pas, que vous aurez forcément tel ou tel type de cancer. Il ne faut surtout pas se culpabiliser et il ne faut pas que la famille se sente coupable.

Il y a la peur aussi puisqu’à partir du moment où on a un cancer colorectal, celui-ci peut être lié à une cause génétique. En conséquence, les frères, les sœurs et les enfants doivent se faire dépister par une coloscopie. Il y en a qui ne veulent pas, qui le refusent.

Et il y a le déni des gens qui considèrent que vous n’êtes pas malade, que ce soit pendant le diagnostic ou pendant les traitements. On parle d’élagage affectif face à cet éloignement des gens qu’on pensait très proches et qui finalement disparaissent quand on a un cancer ou une maladie chronique. Cependant, il arrive au contraire que ceux auxquels on ne croyait pas trop, se rapprochent de vous.

Est-ce que votre vie a pu reprendre son cours ?

Après un cancer, quel que soit le cancer, on revit. On ne vit pas pareil, on n’est jamais le ou la même, on est différent, ni moins bien, ni mieux. Il faut apprendre à vivre avec ça. Comme tout apprentissage, ça prend un petit moment, mais après c’est bien puisqu’en fait c’est une renaissance quelque part. On renaît après cette maladie, on se découvre des qualités qu’on ne se connaissait pas et on va relativiser des choses alors qu’on pouvait passer énormément de temps sur des broutilles. Du coup, on revoit les choses, on revit, on réorganise sa vie et on renaît. Et renaître, c’est aller de l’avant, c’est repartir, c’est rebondir.

Qu’est-ce qui vous a amené à devenir un des co-responsables de Mon Réseau Cancer Colorectal ?

Pendant mes traitements et le post-traitement, j’ai trouvé que les informations que j’avais étaient assez limitées, notamment sur l’impact sur la sexualité ou encore le retour compliqué à la vie après la remise en continuité, et la persistance des neuropathies. De ce fait, je me suis beaucoup renseigné et on m’a suggéré de partager ces informations avec d’autres personnes. On m’a alors conseillé de monter une association, chose que je n’avais pas envie de faire. Il n’y avait pas d’associations à ce moment-là puisque France Colon, qui était la seule association française sur les cancers colorectaux, avait mis la clé sous la porte début 2019. En parallèle, j’ai entendu dire que Patients en Réseau, fort de ses 3 précédents labels – Mon Réseau Cancer du Sein, Mon Réseau Cancer du Poumon, Mon Réseau Cancer Gynéco – voulait monter Mon Réseau Cancer Colorectal. Je les ai rejoints en février 2021, et Mon Réseau Cancer Colorectal (MRCCR) a été lancé officiellement à l’occasion de Mars Bleu 2021, le mois de sensibilisation aux cancers colorectaux. J’en ai pris la coresponsabilité en juin 2021 puisque la personne qui s’en occupait, Colette Casimir, avait besoin d’un coup de main.

En parallèle, on m’a demandé de devenir membre du bureau de DiCE (Digestive Cancers Europe), qui est une association faîtière qui regroupe toutes les associations européennes dédiées aux cancers digestifs. Et toujours dans cette envie d’aller plus loin et cette envie de partager, je me suis fait certifier, via 40 heures d’ETP (éducation thérapeutique pour le patient) qui est une obligation à partir du moment où l’on veut participer à ces ETP et pouvoir discuter, donner et coconstruire ce genre de formations et d’information dans les centres de soins. 

Quelles sont les missions de Mon Réseau Cancer Colorectal ? Qu’est-ce que peut apporter cette association aux patients et à leurs proches ?

Tout ce que l’on publie, toutes les documentations que l’on met sur notre site sont vérifiées par des comités scientifiques.

Mon Réseau Cancer Colorectal est une communauté Internet de patients pour les patients par laquelle vous avez accès à tout un éventail de ressources disponibles gratuitement sans être membre du réseau. Si vous êtes malade ou aidant, vous pouvez vous inscrire. L’inscription est anonyme et à discrétion, c’est-à-dire qu’on peut être membre de notre réseau sans avoir à payer de cotisation.

Concernant la thématique de la nutrition, nous mettons à disposition gratuitement, sur notre site Internet et sur nos stands, des livrets d’informations que nous avons coconstruits. Mon Réseau Cancer Colorectal propose également des sous-groupes dans lesquels on aborde différentes thématiques, telles que les neuropathies,  la sexualité, etc…. Notamment, il y a 3 ans, nous avons mené une enquête intitulée « Cancer colorectal & vie intime et sexuelle, si on en parlait vraiment ? », en posant des questions qui sortaient largement du cadre habituel, pour connaître l’impact du cancer sur la vie intime et sexuelle, un sujet qui suscite une forte gêne tant du côté des patients que des soignants. Les résultats de cette enquête ont été présentés lors de congrès et même primés. Ils permettent de casser en partie les tabous sur le sujet. Ceux-ci sont disponibles en ligne sur le site de Patients en Réseau.

Vous militez pour le dépistage précoce du cancer colorectal. Quels en sont les enjeux ?

Dans 9 cas sur 10, si le cancer colorectal est pris à temps, il n’y a quasiment pas traitement. Et qui dit « peu de traitement », dit « peu d’effets secondaires » !

Il ne faut surtout pas avoir peur du mot « cancer ». Il y a des gens qui ne font pas le dépistage parce qu’ils pensent que s’ils le font, on va leur trouver un cancer et que cancer égale mort. Cancer n’égale pas mort. Aujourd’hui, le cancer, c’est une maladie chronique, c’est-à-dire une maladie avec laquelle on va vivre longtemps. Évidemment, on ne sera jamais comme avant complètement, mais on peut vivre avec un cancer s’il est pris à temps. C’est pourquoi, il ne faut pas attendre. Il faut faire le dépistage lorsqu’on est dans la tranche d’âges du dépistage organisé, d’autant qu’il est gratuit et facile à faire. Il faut donc y aller et ne pas hésiter à en parler !

Pour en savoir plus : Cyril Sarrauste – Ancien patient, chercheur CNRS, patient partenaire (membre du SIRIC de Montpellier), co-responsable de « Mon Réseau Cancer Colorectal », membre du bureau de DiCE (Digestive Cancers Europe).

Cet article vous a intéressé ? Nous vous invitons à lire également l’article « Prévention et bilans de santé » : https://mesmomentsprecieux.fr/prevention/prevention-et-bilans-de-sante/

Références

  1. Institut national du cancer. Panorama des cancers en France – édition 2024, dernière consultation le 17/10/2024
  2. Ameli. Le dépistage organisé du cancer colorectal : un test simple et indolore, dernière consultation le 17/10/2024

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